de la musique pour vos oreilles

B Booker pour les oreilles

Parce qu'on ne fait pas que de s'occuper de vos yeux, une fois de temps en temps, on fait partager aussi les choses qui nous interpellent dans d'autres domaines... Une belle découverte, un titre qui m'a reveillé de la torpeur d'un retour en voiture sous la pluie.

Dans l’écosystème foisonnant de la musique moderne, il existe des artistes dont la trajectoire ne ressemble à aucune autre. Des figures qui, par leur singularité, redéfinissent les frontières des genres et les codes esthétiques. Benjamin Booker est de ceux-là. Avec son look de jeune dandy un brin débraillé, sa voix à mi-chemin entre le cri et la confession, et son approche hybride du blues, du punk et de la soul, il a conquis une place unique : celle du Ben Harper punk, du poète écorché de la scène indie.

Dès les premières mesures de son premier album, sorti en 2014, le monde a été confronté à une énergie brute, presque brute de décoffrage. Booker, à cette époque encore inconnu au bataillon, se dévoile comme un alchimiste des émotions. Sa musique, c'est du feu et de la cendre, de la fureur et du chagrin, un cocktail explosif qui vous accroche dès les premières notes de "Violent Shiver" ou "Have You Seen My Son?". Ici, pas de production lisse ni de calculs. Tout semble être un élan vital, un besoin impérieux de s'exprimer.

Pour comprendre Benjamin Booker, il faut regarder d'où il vient. La Nouvelle-Orléans, bien sûr. Une ville qui suinte l'histoire du blues, du jazz, mais également celle de la résistance et de l’ébullition culturelle. Booker, enfant d'une famille modeste, a grandi entre deux mondes : celui du gospel entendu à l’église et celui des riffs bruts du punk qu'il découvrait dans les petites salles. De ce grand écart, il a su tirer un son à lui, un mélange où les guitares hurlantes rencontrent des textes empreints de soulévement intime.

Certains l’ont comparé à Jack White, d'autres à The Black Keys. Mais ces références ne capturent qu’une partie de la richesse de son univers. Car là où Booker transcende les comparaisons, c’est dans sa capacité à injecter une humanité désarmante dans chacun de ses morceaux. Quand il chante, on entend les fantômes des champs de coton, les cris des révoltes passées, mais aussi les doutes et les quêtes d'un être humain au XXIe siècle.

Son second album, "Witness" (2017), marque un tournant. Plus introspectif, il est aussi plus politique. Le titre-phare, chanté avec la légende de la soul Mavis Staples, est un cri du cœur contre les injustices raciales et les violences policières aux États-Unis. Booker y troque la rage à vif de ses débuts pour une maturité encore plus émouvante. À travers des mélodies qui oscillent entre douceur et urgence, il invite son auditoire à la réflexion, à la solidarité, à une forme d’empathie universelle.

Il y a chez Benjamin Booker quelque chose de paradoxal. Une volonté manifeste de ne pas se ranger dans une case précise, mais aussi une intégrité artistique qui le distingue. Dans un monde musical souvent obsédé par les chiffres et les playlists, Booker ne joue pas le jeu. Sa musique est faite pour durer, pas pour consommer. Elle vous traverse, vous secoue, et vous laisse souvent à nu.

Alors, Benjamin Booker, le Ben Harper punk ? Peut-être. Mais surtout une voix qui compte. Un électron libre qui, album après album, construit une discographie à la fois exigeante et bouleversante. Et une preuve que dans ce monde saturé de sons et d’images, il reste encore des artistes capables de toucher au cœur.

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